NINE INCH NAILS (usa) - Broken (2012)
Label : Interscope
Sortie du Scud : 22 septembre 1992
Pays : Etats-Unis
Genre : Metal Indus
Type : Album
Playtime : 8 Titres - 33 Mins
Au moment d’enregistrer cet EP, Trent REZNOR, âme damnée et seul maître aux commandes du monstre protéiforme NINE INCH NAILS est dans une position délicate.
Sommé par TVT Records - la maison de disques ayant sorti son premier effort, Pretty Hate Machine - de rester dans un créneau Pop synthétique, il se lance dans une bataille juridique pour récupérer son contrat et voler de ses propres ailes. Hors de question pour lui de laisser le contrôle de sa musique à des businessmen qui n’y comprennent rien.<br<
Car même si ce séminal effort connut un succès public et critique non négligeable, Reznor veut changer d’optique, et enregistrer un album qui « écorche les oreilles ». Plusieurs studios seront utilisés, pas seulement pour des questions de production, mais aussi pour des problèmes de discrétion. Reznor utilisant des alias pour ne pas que sa maison de disques s’aperçoive du subterfuge. Il faut dire, après coup, que les PR de TVT auraient été incroyablement insatisfaits de la direction empruntée par le ténébreux leader.
Car même si « Head Like A Hole » était du genre abrasif, la moyenne globale de Pretty Hate Machine restait sur une ligne plutôt souple, à cheval entre FRONT 242 et KMFDM, option Pop.
Et Trent voulait frapper un grand coup.
Avec le recul, on peut voir en Broken, une sorte d’exutoire avant la grande purge de The Downward Spiral. Une occasion de se défouler, de balancer une grosse claque avant d’expliquer pourquoi. De tester de nouvelles techniques (une Jackson branchée sur une pédale Zoom, filtrée ensuite par Digidesign, le mellotron de feu John Lennon sur « Gave Up »), d’aller plus loin au niveau des textes, de l’imagerie, de s’imposer finalement comme artiste extrême estampillé 90’s.
Broken fut à The Downward Spiral ce que Garage Re-revisited fut à And Justice For All. Une manière d’arrêter le temps, de se libérer des contraintes avant d’attaquer le gros œuvre. Mais si METALLICA conçut son EP comme une gentille récréation, Reznor lui, l’envisagea avec le plus grand sérieux.
Huit titres (dont deux cachés après quatre vingt onze plages de silence d’une seconde chacune, procédé qui sera repris plus tard par le disciple MANSON), dont au moins cinq condensés de haine, de violence, de stupre et de vice. Reznor s’exprime sans ambages, et nous livre l’acte le plus agressif de sa carrière.
Une vidéo longue durée sera d’ailleurs proposée en appui de l’EP (réalisée par Peter Christopherson), reprenant ces cinq mêmes morceaux d’une manière très graphique. On y retrouvera notamment Bob Flanagan, performer US spécialiste de l’auto mutilation et de la torture, broyé par une machine vintage sur le second degré « Happiness In Slavery », ainsi que Reznor et son groupe, en cage, livrant une performance explosive de « Wish » (qui permettra à Trent de gagner un Grammy pour la meilleure performance Metal de l’année. Pour l’anecdote, il commentera cette distinction par un ironique « Je ferai graver sur ma tombe l’épitaphe suivante : J’ai chanté fist fuck, j’ai gagné un Grammy »)
Mais parlons musique.
Broken s’ouvre sur « Pinion », courte intro d’une minute constituée de riffs de guitares successifs montant en intensité, agrémentés d’un sample non crédité du « It’s No Game » de David Bowie.
Après un court blanc d’à peine une seconde, le loop principal de « Wish », étrange respiration itérative et obsessionnelle, lance la machine pour un sprint non-stop de 270 BPM sur un peu moins de quatre minutes. Sorte de farandole furieuse pour psychopathes en liberté, « Wish » est en quelque sorte un léger avant goût de « March Of The Pigs » qu’on retrouvera sur The Downward Spiral. Titre caractéristique de la seconde période de NIN, il jette comme leitmotiv une supplique introspective, « wish there was something real, wish there was something true ». Désir du créateur, qui refuse l’hypocrisie, ou de l’auditeur qui doute de la sincérité de l’artiste ? Reznor étant plus que doué pour brouiller les pistes…
Il n’empêche que ce morceau est bâti sur un riff surpuissant qui concasse l’espace pour nous rendre claustrophobes. Découlant autant de la rage froide de KILLING JOKE que de la fournaise paillarde de MINISTRY, il chauffe les esprits à blanc et retient l’attention.
« Last », est une enclume Heavy, au pas lourd comme une procession d’esclaves consentants. La guitare se tord et expire en un son acide, tandis que le chant de Trent semble souffrir d’une nuée de lames de rasoir raclant sa gorge au passage. Metal dans sa forme, aussi Punk que pouvait l’être SUICIDE dans le fond, nihiliste, absolu, c’est certainement selon moi un achèvement sur cet EP, qui prouve que Reznor ne craignait personne en matière de cauchemar sonore lancinant. Son « Come, come, gotta let me inside of you » résonne en aval de l’écho de « Closer », qui imposera ce vers terrible et controversé, “I wanna feel you from the inside, you get me closer to God”.
Après l’intermède « Help Me I Am In Hell », inspiré de Hellraiser, c’est le hit « Happiness In Slavery » qui nous écorche les tympans. Le maître nous lance l’injonction, « Don’t open your eyes, you won’t like what you see », et les images tordues du clip remontent à la surface, aidées en cela par une structure alternant le Metal Indus le plus puissant, et la Pop synthétique de Pretty Hate Machine. Au palmarès des hymnes du groupe, ce morceau est à placer aux côtés de « Head Like A Hole », « March Of The Pigs », « Hurt » et autres « Starfuckers, Inc. ».
« Gave Up » termine cette première partie en reprenant plus ou moins le schéma de « Wish ». La rythmique vole à 288 BPM, le chant susurré s’oppose aux hurlements possédés, pour ce qui restera sans doute la chanson la plus violente du lot, mais aussi celle ou la cassure est la plus radicale.
(Interlude. Ayez l’obligeance de bien vouloir respecter quatre vingt onze pauses d’une seconde de silence.)
« Physical (You’re So) », est une reprise d’ADAM ANT (vous vous souvenez, ce mec qui chantait au début des années 80 le visage strié de peinture blanche comme un Indien…) qu’on trouvait sur son LP Kings Of The Wild Frontier. Accommodée bien sur à la sauce NIN… Trois ans plus tard, Reznor interprètera cette chanson sur scène avec son auteur, qui clamera sa joie de se retrouver on stage « Avec le putain de meilleur groupe du monde ». Joie.
« Suck », cover de PIGFACE (dont Reznor fit partie…), est plus rapide et concise que son modèle original. A tel point que la face de porc préfèrera cette version lors de ses propres concerts. On y retrouve le subtil « Suck ! Suck ! Suck ! » scandé sur l’original, en option plus feutrée.
Quatre « vrais » morceaux originaux, deux reprises. La parenthèse est fermée.
Broken sera un énorme succès pour un format aussi hybride et une musique aussi extrême. Il deviendra platine bien que MTV bannit tous les clips en étant issu, privant de fait Reznor d’une exposition massive. Mais cette censure prouvera qu’un artiste peut mettre le business à genoux sans faire de concessions.
Cet EP restera l’achèvement le plus brutal, le plus cru de son auteur. Bien loin des minauderies polies de Pretty Hate Machine, il célèbrera le vice, la luxure, la violence. Pour la première fois, il se verra doublé d’un album de remixes, Fixed, pendant indispensable développant sur une plus longue durée les climats, et transfigurant parfois totalement les morceaux (le lifting de « Wish » est à ce titre très impressionnant).
Il symbolisera aussi la montée en puissance d’un compositeur génial, qui fera de son album suivant la pierre angulaire du Metal Indus moderne des années 90 et 2000.
Car Broken fut l’intro, le prologue dément d’un ouvrage hors norme, l’insurpassable The Downward Spiral, testament désabusé et cruel d’une époque vouée au consumérisme et à l’individualisme égoïste.
Ajouté : Jeudi 29 Mars 2012 Chroniqueur : Mortne2001 Score : Lien en relation: Nine Inch Nails Website Hits: 12798
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